L'interview
Marie-Noëlle Rasson : "le journaliste doit remarquer les failles de la société"
PORTRAIT – Enfant, Marie-Noëlle Rasson rêvait de devenir journaliste pour changer le monde. Aujourd’hui, elle comprend mieux les contraintes du métier mais elle n’abandonne pas cet idéal. A 29 ans, elle nous raconte ses voyages, son métier, ses passions…
Enfant, quel métier rêviez-vous d’exercer ?
Quand j’étais enfant, je voulais être journaliste. Mon rêve, c’était d’être envoyée spéciale, voire reporter de guerre.
Avez-vous fait des jobs d’étudiants ?
J’ai été serveuse pendant toutes mes études. Je n’avais pas envie d’un job de bureau. L’été, j’avais envie d’être dehors. Mais ça n’avait rien à voir avec mon projet.
Quels sont vos hobbys, vos passions ?
Mon hobby principal, c’est de voyager. J’ai habité dans plusieurs pays. C’est vraiment l’immersion culturelle et linguistique qui me plaît. Sinon, j’aime beaucoup l’histoire et je fais du sport : de la natation et du surf. Et j’aime beaucoup lire.
Qu’avez-vous fait comme études ?
Dès le départ, mon idée était de faire du journalisme. Mais j’ai d’abord fait un master en histoire, car je voulais avoir un double diplôme. Par la suite, j’ai étudié le journalisme en cours du soir et j’ai trouvé ça vraiment très important pour exercer le métier.
Etiez-vous en kot ?
Oui j’ai koté pendant trois ans, à partir de ma deuxième année d’études.
Qu’avez-vous retenu de cette vie en communauté ?
J’ai eu plusieurs expériences de kot, dont un kot à projets : le kot BD. Je pense que c’est important de koter, si on en a l’occasion et les moyens, car c’est une façon d’apprendre à être autonome dans la vie.
Avez-vous participé aux guindailles louvanistes ?
Bien sûr ! Je n’ai pas voulu faire mon baptême, mais j’ai beaucoup fréquenté les cercles avec mes amis. Ca fait partie de la vie d’étudiant… C’est une période à part de la vie. Je pense qu’il faut en profiter.
Dans quels pays avez-vous vécu ?
Je suis partie six mois en Erasmus en Ecosse, c’était une expérience exceptionnelle. Ensuite, après mes études, je suis partie à Quito, en Equateur, où j’ai fait du volontariat durant six mois. Je donnais des cours d’anglais dans une école maternelle. Et j’ai pu apprendre l’espagnol. Ce genre d’expérience fait réfléchir. Plus tard, après une première expérience professionnelle en Belgique et des cours du soir en journalisme, je suis partie au Maroc où j’ai été journaliste pendant deux ans. J’ai travaillé pour L’Economiste, un quotidien francophone au Maroc. J’ai d’abord travaillé à Casablanca dans la rubrique « entreprises » du journal. J’ai ensuite travaillé pour Atlantic radio, du même groupe de presse. Ensuite, j’ai été nommée correspondante régionale pour le groupe à Safi-Essaouira. C’était une expérience magique. Le Maroc est un pays en plein développement où l’énergie est extraordinaire. Le fait de vivre cette expérience m’a donné un regard différent sur le métier. On n’est pas journaliste au Maroc comme on est journaliste en Belgique. Au Maroc, on a la chance d’être à la source de l’information. Par contre, elle est parfois plus difficile à obtenir. Il faut comprendre la culture du pays pour pouvoir y faire un bon travail de journaliste.
Le fait d’avoir beaucoup de tabous vous a-t-il posé problème ?
En fait, au début, ce qui m’a beaucoup perturbé, c’est qu’il faut plus de temps pour accéder à l’information. En Belgique, les gens sont généralement habitués à parler aux médias. Au Maroc, il faut bien souvent prendre plus de temps pour mettre les gens en confiance car ils se méfient des médias. A partir du moment où j’ai parlé un peu d’arabe et je connaissais mieux la culture du pays, j’ai eu beaucoup plus d’informations.
Qu’est-ce qui vous a fait revenir en Belgique ?
Je n’avais pas spécialement de date, mais je savais que j’allais rentrer au bout de quelques années. C’est sans doute le manque de ma famille et de mes amis qui m’a fait revenir. C’était aussi un aboutissement. Après deux ans, j’ai senti que soit je rentrais, soit je m’immergeais encore plus profondément.
En quoi consiste votre travail actuel ?
Je fais partie d’une équipe de rédacteurs et j’écris pour différents magazines de sensibilisation au bien-être au travail.
Quel est le type de journalisme dans lequel vous exercez ?
J’exerce dans un journalisme de type magazine, qui se penche notamment sur des questions de santé.
Pourquoi avez-vous choisi d’accéder à cette catégorie de journalisme plutôt qu’une autre ?
Je dirais que ce n’est pas spécialement un choix. J’ai eu cette opportunité et ça me convient. Il faut savoir qu’actuellement, les journalistes sont confrontés à un manque grave d’offres d’emploi. Ceci dit, j’aime beaucoup le rythme d’un mensuel et je me sens à l’aise dans l’écriture de type magazine.
D’où vous viennent les idées de thèmes pour vos articles ?
Quand j’étais à Essaouira, j’étais à la source de l’information. Mes idées me venaient en me baladant dans la rue, en observant ce qui m’entourait, en discutant avec les gens… Un journaliste doit être créatif et remarquer les failles de la société qui l’entoure. Il doit avoir une réflexion permanente. Et puis, évidemment, il faut lire, s’informer. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’information préparée (communiqués de presse, agence de presse…) et beaucoup de choses sur les réseaux sociaux. Mais pour moi, ce n’est pas suffisant. Le journaliste doit sortir sur le terrain.
Avez-vous des « modèles » de journalistes ?
Le journalisme qui me passionne le plus, c’est le journalisme d’investigation. C’est une catégorie à part et qui est excessivement difficile d’accès.
Je citerais Philippe Engels, qui a travaillé pour « Le Vif/L’Express » en tant que journaliste d’investigation pendant plusieurs années et que j’ai eu l’occasion de rencontrer durant mes cours de journalisme. Il faisait un travail exceptionnel.
Durant mes études d’histoire, j’ai eu l’occasion de suivre en option le cours de « Presse, journalisme et société » de Gabriel Ringlet qui a été révélateur pour moi. J’ai trouvé ce cours extraordinaire. Gabriel Ringlet est quelqu’un qui, je pense, a une réflexion philosophique sur le rôle du journaliste. Il nous parle d’un journalisme humain. Je pense que les journalistes doivent réfléchir à leur rôle profond au sein de la société. Gabriel Ringlet est aussi un excellent orateur.
Mais mon maître incontesté, c’est Günter Wallraff, qui a écrit « Tête de turc ». Pour moi, le rôle du journaliste, c’est de dénoncer les choses. Or, Günter Wallraff a réussi, en se déguisant, à ressentir et à faire partager la réalité des Turcs en Allemagne. Je trouve ça extraordinaire. Mais évidemment, c’est un sacrifice de vie.
A quoi ressemblent vos journées ?
Dans mon travail actuel, il y a une partie de travail de bureau et quelques interviews sur le terrain. Le journaliste vit très fort au rythme de son média. Ici, c’est un mensuel donc le travail se partage sur quatre semaines. En réalité, le travail du journaliste est assez régulier, mais ce qui fait que ce n’est jamais monotone, c’est que chaque sujet est différent.
Quels sont les sujets que vous aimez traiter ?
Les problématiques sociales sont celles qui me passionnent le plus : l’immigration, l’obésité, l’anorexie, le chômage… J’aime aussi beaucoup l’international, puisque j’ai beaucoup voyagé. Mais tout sujet m’intéresse, tout sujet permet d’apprendre des choses.
Qu’aimez-vous dans votre métier ?
Ce que j’aime, c’est le contact que l’on peut avoir avec nos sources. J’aime rentrer dans l’univers des gens en les interviewant. Un autre côté que j’aime beaucoup, c’est l’écriture. Sans oublier cette recherche permanente sur les sujets, sur des problématiques de société.
Et au contraire, qu’est-ce qui ne vous plaît pas ?
L’une des difficultés du journaliste, c’est de pouvoir résister aux pressions : pression des services commerciaux, pression de ses sources parfois… Il faut pouvoir établir une relation cordiale avec les sources, mais toujours maintenir une certaine distance. Ca s’acquiert avec l’expérience. Je n’aime pas non plus la rapidité avec laquelle on doit travailler. Avec les nouveaux médias, le journaliste a une énorme pression du temps… Il faut aller tellement vite qu’on est parfois déçu de ce qu’on écrit. C’est frustrant.
Quelles sont les qualités requises pour exercer ce métier ?
Il faut être sociable, ouvert. Il faut pouvoir avoir un réseau et être créatif. Sans réseau et sans sujet, on n’est pas journaliste. Il faut aussi être rapide : réussir à écrire vite et bien. Il faut également avoir les nerfs solides. Et il faut être tellement passionné que les contraintes financières passent après l’envie du métier.
Quels sont les rôles que vous pensez devoir remplir via votre activité journalistique ?
Le journaliste, c'est le chien de garde de la démocratie. C'est le quatrième pouvoir. C'est celui qui doit absolument préserver le vivre ensemble et la démocratie.
Avant d’entrer dans la vie professionnelle, quelle était la représentation que vous vous faisiez du journalisme ? Aujourd’hui, cette vision a-t-elle évoluée ?
Je pense que j’avais une vision idéalisée du métier. Le journaliste est constamment présent dans la littérature. Un exemple parlant n’est autre que Tintin… A travers le journalisme, je voulais dénoncer, changer le monde ! Avec l’expérience et le recul, j’ai une autre vision, beaucoup plus réaliste du métier. Je ne dis plus que je vais changer le monde, comme lorsque j’étais petite, mais mon but, c’est d’essayer de donner un éclairage sur notre société et de trouver quelques failles.
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